secret bancaire

12/07/2019

La Chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle, dans un arrêt du 15 mai 2019, les règles applicables au secret bancaire.

Contexte de l’affaire

M. et Mme X sont titulaires d'un compte ouvert dans les livres de la CRCAM d'Aquitaine sur lequel ils ont tiré quatre chèques, d’un montant total de 14.194 €, à l'ordre d'une société « Batibox ». Le nom d’une personne physique a été adjoint au nom de la société « Batibox » de sorte que les chèques portaient la mention d’un double bénéficiaire lors de leur présentation au paiement. Il convient de souligner qu’une telle mention n’est pas prohibée. Ceci étant, pour prévenir un encaissement frauduleux, la jurisprudence impose au banquier présentateur, outre son devoir de vérification formelle du titre, de recueillir le consentement des deux bénéficiaires préalablement à l'encaissement. Ce devoir d’information n’a lieu d’être que lorsque les bénéficiaires désignés ne sont pas titulaires d’un compte joint et que le tireur n’a pas donné d’instruction particulière à l’encaissement.

Dans ce contexte, M. et Mme X ont assigné la CRCAM d'Aquitaine devant le juge des référés du TGI de Bordeaux aux fins d’obtenir le remboursement de la provision, et subsidiairement, la communication sous astreinte des copies du verso des chèques accompagnées de l’acte de consentement des deux bénéficiaires. Le juge des référés a ordonné la communication des pièces et a dit n’y avoir lieu à référé pour le surplus. Dans le cadre du recours formé contre cette ordonnance, la CRCAM d’Aquitaine a opposé le secret bancaire comme empêchement légitime à la communication du verso des chèques, précisant que leur transmission n’était possible qu’au profit de l’autorité judiciaire pénale, et qu’au cas particulier, elle avait pris l’initiative de saisir le Parquet de Strasbourg d’une plainte contre personne dénommée dénonçant des faits de faux, usage de faux, abus de confiance « afin que la lumière soit faite quant à la personne qui a, en définitive, procédé à l’endossement des chèques litigieux ». Outre l’obstacle légal institué par l’article L. 511-33 du Code monétaire et financier, la banque a ainsi tenté de démontrer l’inutilité de la mesure sollicitée au regard de son dépôt de plainte – cet argument semble toutefois fragile puisque, d’une part, le dépôt d’une plainte simple n’écarte pas de facto la mise en cause de la banque devant le juge civil à l’occasion du traitement des chèques, et d’autre part, rien ne garantissait à ce stade la mise en mouvement de l’action publique et l’ouverture d’une enquête dans le cadre de laquelle le verso des chèques aurait pu être annexé.  

En réplique, les tireurs ont notamment fait valoir la mise en jeu de la responsabilité de la banque contre laquelle la demande de pièces était sollicitée afin d’écarter le secret bancaire. Le lecteur notera que cette restriction au secret a été érigée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt remarqué du 29 novembre 2017 : « Mais attendu que le secret bancaire institué par l'article L. 511-33 du code monétaire et financier ne constitue pas un empêchement légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile lorsque la demande de communication de documents est dirigée contre l'établissement de crédit non en sa qualité de tiers confident mais en celle de partie au procès intenté contre lui en vue de rechercher son éventuelle responsabilité dans la réalisation de l'opération contestée ». Pour infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a enjoint la CRCAM d’Aquitaine de produire le verso des chèques, la Cour d’appel a tout d’abord constaté que le litige opposait « les seuls tireurs des chèques à leur banque, sans mise en cause du ou des bénéficiaires », puis elle a relevé que « la banque en produisant les pièces demandées divulguerait les informations figurant au verso des chèques et porterait ainsi atteinte au secret dont sont titulaires les bénéficiaires desdits chèques ». La Cour d’appel a donc fait le choix d’appliquer strictement le secret bancaire. C’est dans ce contexte que l’affaire a été soumise à l’examen de la Chambre commerciale de la Cour de cassation.

L’encadrement du secret bancaire en matière de chèque : droit à la preuve et contrôle de proportionnalité

Au visa de l’article L. 511-33 du code monétaire et financier, de l’article 10 du code civilet des articles 9 et 11 du code de procédure civile, la Chambre commerciale a cassé l’arrêt d’appel pour défaut de base légale, selon la motivation suivante : « Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la communication à M. et Mme R... des informations figurant au verso des chèques qu'ils avaient émis n'était pas indispensable à l'exercice de leur droit à la preuve, pour rechercher l'éventuelle responsabilité de la banque lors de l'encaissement desdits chèques, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, incluant la protection du secret dû aux bénéficiaires de ces chèques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ». Une première observation s’impose. La Cour de cassation n’a pas fait le choix de réduire à néant les effets du secret bancaire en matière de chèque au seul motif que l’éventuelle responsabilité de la banque serait recherchée à l’occasion de l’encaissement contesté. Le secret subsiste, mais il demeure encadré. A la lecture de cet attendu, les juridictions, et plus particulièrement le juge des référés saisi d’une demande fondée sur l’article 145 du code de procédure civile, ne pourront écarter l’empêchement légitime tiré du secret bancaire pour ordonner la communication du verso d’un chèque que si deux conditions cumulatives sont réunies : (i) la communication des informations figurant au verso du chèque devra être indispensable à l’exercice par le tireur de son droit à la preuve pour rechercher la responsabilité de la banque lors de l’encaissement du chèque et (ii) l’intérêt du demandeur devra prévaloir sur la protection du secret dû au bénéficiaire. 

Il faut souligner que cette formule est sensiblement identique à celle déjà retenue par la Chambre commerciale dans un arrêt rendu en date du 4 juillet 2018 en matière bancaire. Il s’agissait alors d’examiner si la banque pouvait légitimement communiquer à l’instance les informations d’un relevé de compte en défense d’une action en responsabilité dirigée contre elle par l’un de ses clients. La Cour a cassé l’arrêt d’appel ayant écarté des débats la communication du relevé de compte « sans rechercher si la production litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice par la banque de son droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. » En l’occurrence, la création prétorienne du « droit à la preuve » ainsi que les conditions de son application ne sont pas nouvelles. Dans la lignée de sa jurisprudence, la Cour de cassation ne fait prévaloir le droit à la preuve sur le secret professionnel que lorsque la preuve litigieuse s’avère « indispensable » à l’exercice de l’action du demandeur dirigée contre le banquier (tiré ou présentateur). Autrement dit, la dérogation au secret ne serait autorisée que s’il n’existe pas d’autres moyens probatoires pour mettre en jeu la responsabilité de la banque à l’occasion du traitement du chèque.

Il semblerait que l’examen de cette exigence permet de toucher à la limite du droit à la preuve. En effet, dans les situations où l’examen du verso du chèque ne serait pas indispensable à la mise en cause de la banque, le secret devrait donc prévaloir et les informations liées au bénéficiaire seraient alors couvertes. Cette question relèvera de l’appréciation des juridictions. Pour ce qui concerne le critère de la proportionnalité, celui-ci doit être examiné au regard des « intérêts antinomiques en présence, incluant la protection du secret dû aux bénéficiaires ». Le contenu et le champ d’application de ce critère ne sont pas précisés. Force est de constater qu’il fait doublon avec l’exigence de nécessité du droit à la preuve rappelé précédemment, à ceci près que le contrôle de proportionnalité dépend plus encore de l’appréciation souveraine du juge saisi de la demande de communication. L’examen de la proportionnalité donnera sans doute lieu à des discussions et décisions variées. En attendant, il sera intéressant de connaître l’appréciation de la Cour d’appel de Poitiers saisie du renvoi. La Cour de cassation sera sans doute amenée à trancher définitivement ce débat si elle souhaite l’harmoniser.

En conséquence, cet arrêt présente le triple intérêt de nourrir le droit processuel, d’illustrer le principe prétorien du « droit à la preuve » dans le cadre bancaire, et de préciser les contours du secret professionnel en matière de chèque, tout en exigeant des juridictions un exercice de motivation plus que jamais nécessaire.

François Clapiès - Avocat au barreau de Strasbourg

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