La profession prend toute sa part dans le maintien du service public de la justice

Au temps du coronavirus, le métier d'avocat est devenu "surréaliste"

L'avocat Thomas Klotz raconte son quotidien soumis à l'état d'urgence sanitaire et dénonce des situations parfois "dramatiques".

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Pour les affaires civiles, ici à Düsseldorf en Allemagne, les procédures judiciaires se déroulent par visioconférence en raison de l'épidémie de coronavirus. En France, concernant les comparutions immédiates, la visioconférence est désormais imposée. Au lieu de se rencontrer dans une salle, le prévenu et le juge se parlent par ordinateurs interposés.

JUSTICE - ”Étrange quand même”. C’est le ressenti qu’a tweeté Thomas Klotz, avocat au barreau de Paris spécialisé en droit pénal, après avoir conseillé un client en garde à vue mais à distance, c’est-à-dire par téléphone. Dans la France touchée par l’épidémie de coronavirus, les tribunaux sont quasiment vides, les audiences qui se tiennent sont exceptionnelles, le télétravail est imposé aux avocats.

Mercredi 25 mars, à l’issue du conseil des ministres, plusieurs ordonnances ont été adoptées dont une consacrée à l’adaptation de la procédure pénale à l’état d’urgence sanitaire. Une ordonnance qui a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans un ciel qui n’était déjà pas serein, la profession des avocats ayant été récemment éprouvée par plusieurs mois de grève contre le projet de loi de réforme des retraites.

Afin de désengorger les prisons où la promiscuité expose plus dangereusement qu’ailleurs les personnes au coronavirus, cette ordonnance prévoit la libération anticipée des détenus condamnés à moins de cinq ans de prison et auxquels il reste moins de deux mois à purger, à l’exclusion des affaires criminelles, de terrorisme et de violences intrafamiliales. Elle prévoit également la possibilité d’octroyer des réductions de peine supplémentaires allant jusqu’à deux mois.

Ce qui fâche particulièrement les avocats, c’est la prolongation automatique des délais de détention provisoire de deux à six mois, en fonction de la nature de l’infraction. La procédure devenant automatique, les avocats constatent qu’ils sont évincés, comme en témoigne cette tribune d’une avocate en colère parue dans Libération le 31 mars. Évincés aussi selon eux, la présomption d’innocence et le débat contradictoire. Une décision qui irrite d’autant plus qu’au 1er janvier, la France comptait 70.651 détenus pour 61.080 places opérationnelles, et parmi eux plus de 21.000 dans l’attente de leur jugement. L’ordonnance précise que ces mesures prendront fin un mois après la levée de l’état d’urgence sanitaire.

La contre-attaque ne s’est pas fait attendre, puisqu’un recours a été déposé devant le Conseil d’État par plusieurs syndicats d’avocats pour contester cet allongement automatique de la détention provisoire. Ils demandent aussi que soient prises en urgence des mesures plus musclées pour protéger les détenus face à l’épidémie de coronavirus. C’est ce vendredi que le référé est examiné. 

Dans ce contexte, Thomas Klotz a raconté au HuffPost à quoi ressemble son quotidien d’avocat bouleversé par une situation d’exception jamais vue, et nous a confié son inquiétude pour l’état de droit mais aussi pour l’avenir de sa profession qui subit de plein fouet une grande précarité.

 

Le HuffPost: Comment exercez-vous votre métier d’avocat pénaliste dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire lié au coronavirus?

Thomas Klotz: L’activité judiciaire est extrêmement ralentie, voire paralysée, au préjudice des avocats et des justiciables principalement. La mesure de la prolongation automatique de la détention provisoire est inadmissible, les avocats sont relégués à un simple ornement alors qu’il s’agit de respecter la présomption d’innocence et le débat contradictoire qui conditionnent la justesse de la décision. Certains syndicats ont introduit un recours devant le Conseil d’État contre ce décret.

Au quotidien, je gère principalement les détentions provisoires, les demandes de mise en liberté ou les requêtes en aménagement de peine. Nous gérons aussi l’angoisse des familles concernant les détenus car elles n’ont plus de droit de visite, elles s’inquiètent de savoir comment la crise du coronavirus est gérée en prison et s’il y a des soins appropriés.

J’ai également des visioconférences avec des dirigeants ou directeurs juridiques qui ont besoin de conseils dans la situation actuelle. Il s’agit pour eux de gérer au mieux le maintien de l’activité de l’entreprise préconisée par le gouvernement tout en respectant leurs devoirs d’employeur envers les salariés. Cela peut concerner leurs responsabilités notamment face à des risques de mise en danger de la vie d’autrui par contamination. Comme tout le monde, j’utilise des applications comme Zoom ou Facetime.

Être conseillé à distance, cela change quoi pour le justiciable? 

Le plus surréaliste, c’est sans doute d’avoir conseillé un client en garde à vue par téléphone, puisque l’ordonnance du 25 mars prévoit une assistance à distance. Après un entretien individuel de 30 minutes, j’ai assisté à la confrontation par téléphone, et même si on a admis cette procédure avec le justiciable, c’est dramatique: un avocat, c’est avant tout un soutien humain qui passe par la présence physique. Cette façon de devoir faire mon métier à distance est préjudiciable pour l’exercice de la justice. 

Un avocat, c’est avant tout un soutien humain qui passe par la présence physique.

Quelles informations avez-vous sur la situation dans les prisons?

Nous avons peu d’informations et pas de visibilité. Les réponses des autorités judiciaires sont très éparses, la circulaire de la ministre de la Justice sur le fait de désengorger les prisons pour raison sanitaire reste très insuffisante. Oui, il y a désengorgement, mais la décision reste à l’appréciation du juge d’application des peines. On m’a refusé des libérations conditionnelles alors que les détenus étaient en fin de peine et présentaient des garanties de réinsertion.

Or on pourrait aller plus loin dans les fins de peine, car le motif sanitaire n’est pas un motif frivole. À Fresnes, il y a 8 ou 9 cas de coronavirus qui ont été identifiés. Certes, ils sont isolés et il y a un hôpital pénitentiaire, mais la situation est inquiétante.

De plus, la détention est devenue encore plus difficile à vivre puisqu’il n’y a maintenant plus de parloir autorisé et très peu d’activités, les promenades sont restreintes. La détention en temps normal est déjà une épreuve, mais dans ces circonstances exceptionnelles, on est en train d’atteindre un niveau de très grande tension qui inquiète magistrats et avocats. Le système est à bout.

La détention est encore plus difficile à vivre puisqu’il n’y a plus de parloir autorisé et très peu d’activité. Il y a une grande tension qui inquiète magistrats et avocats.

Que pensez-vous de la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement et de ses conséquences pour le justiciable?

Sur le plan des principes, de l’exclusion du rôle de l’avocat et des droits de la défense dans le cadre de la prolongation automatique de la détention provisoire, sans même que le justiciable soit présenté à un juge, j’estime que dans une crise sanitaire aussi grave, il est fondamental d’assurer l’État de droit et les droits fondamentaux. D’autant plus que dans ce cas précis, cela pourrait se faire par visioconférence et cela arrive même en temps normal. Pour statuer sur une détention, il n’y a rien de plus simple à mettre en place. Ils ont décidé d’allonger tous les délais de peur de ne pas avoir la possibilité de statuer. Mais cette mesure est inaudible dans un État de droit. 

On ne sait pas dans quel état on va sortir de cette crise sanitaire.

Et pour les avocats eux-mêmes?

Pour la profession, je suis très inquiet. Il n’est pas exagéré de parler d’arrêt de l’activité actuellement. La situation économique des avocats va devenir alarmante, surtout après les six à huit semaines de grève qui ont eu lieu. Aujourd’hui, on ne sait pas dans quel état on va sortir de cette crise sanitaire, car il n’y a ni chômage partiel ni fonds de solidarité pour les avocats. Les temps ont changé et on est bien loin de l’image d’Épinal d’une profession de nantis et de privilégiés. C’est un métier qui est devenu financièrement incertain.

De manière générale, la garde des Sceaux n’a pas été très à l’écoute des avocats et du monde judiciaire. Même si la gestion de la crise sanitaire se fait dans l’urgence, cela n’exclut pas la possibilité d’une consultation voire d’une concertation. On devrait pouvoir mieux équilibrer l’état d’urgence sanitaire avec le respect des droits des justiciables et la préservation de notre fonction. 

Sur la réforme des retraites

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Les chantiers de la Justice
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