Diffamation

Diffamation : portée de l’acte de poursuite et qualité de corps constitué

Les propos poursuivis comme diffamatoires à l’égard d’une personne ne peuvent emporter condamnation en tant qu’ils comportent également des imputations en visant une autre. En outre, faute d’avoir reçu de la loi une portion de l’autorité ou de l’administration publique, le conseil régional de l’ordre des experts-comptables des Pays de Loire n’est pas un corps constitué au sens de l’article 30 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse.

par Sabrina Lavricle 11 juillet 2019

Après la diffusion à de nombreux destinataires d’une lettre ouverte du secrétaire national du syndicat de formation et développement CFE-CGC imputant au conseil régional de l’ordre des experts-comptables des Pays de Loire des pratiques discriminatoires (à savoir le refus d’inscription d’un candidat d’origine ivoirienne), le conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables, représenté par le conseil régional, porta plainte et se constitua partie civile pour diffamation publique envers un corps constitué, au visa des articles 29, alinéa 1er, et 30 de la loi sur la presse. Le juge d’instruction renvoya le prévenu devant le tribunal correctionnel qui le relaxa. Puis la cour d’appel d’Angers, saisie par la partie civile, infirma le jugement sur les intérêts civils en retenant l’existence d’une faute civile caractérisée par l’allégation de faits contraires à l’honneur ou à la considération non seulement du conseil régional des experts-comptables mais aussi du conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables.

Le pourvoi invoquait une violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 2 et 497 du code de procédure pénale. La Cour de cassation y répond au visa de l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, rappelant que « l’acte initial de poursuite fixe définitivement et irrévocablement la nature, l’étendue et l’objet de la poursuite, ainsi que les points sur lesquels le prévenu aura à se défendre », et déduisant que « les propos poursuivis comme diffamatoires à l’égard d’une personne ne peuvent emporter condamnation en tant qu’ils comportent également des imputations en visant une autre ». Ainsi, la cour d’Angers, qui n’était saisie que de diffamation publique envers le conseil régional de l’ordre des experts-comptables, ne pouvait retenir l’existence d’une faute civile pour des propos visant le conseil supérieur du même ordre. La spécificité de l’acte initial de poursuite en matière de presse explique qu’on ne puisse pas imputer au prévenu une faute civile à raison de propos qui n’y seraient pas expressément visés. L’irrévocabilité de l’acte de poursuite, qui tend à garantir les droits de la défense (Crim. 7 avr. 1992, n° 87-81.208, Dalloz jurisprudence ; 26 avr. 2000, n° 98-87.633, JCP 2001. I. 289, obs. M. Véron ; Dr. pénal 2000. Comm. 114, obs. M. Véron ; 2 déc. 1980, Bull. crim. n° 327), empêche de la même manière toute intervention en qualité de partie civile dans une procédure déjà engagée sur la plainte ou la requête d’une autre personne (Crim. 31 janv. 1989, Bull. crim. n° 38 ; 22 mai 1990, n° 87-81.387 ; 10 mai 2006, n° 05-81.403, D. 2006. 1705  ; ibid. 2007. 1038, obs. J.-Y. Dupeux et T. Massis  ; AJ pénal 2006. 372 ).

En outre, relevant d’office le moyen pris de la violation de l’article 30 de la loi sur la presse, la chambre criminelle casse et annule sans renvoi l’arrêt attaqué dès lors que le conseil régional de l’ordre des experts-comptables des Pays de Loire, qui n’a pas la qualité de « corps constitué » au sens de ce texte, ne pouvait pas agir en diffamation sur son fondement. L’article 30 de la loi du 29 juillet 1881 incrimine la diffamation publique commise « envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués et les administrations publiques », en l’assortissant d’une amende de 45 000 €. La Cour de cassation rappelle dans le présent arrêt que « ne peuvent agir en diffamation sur le fondement de ce texte que les corps constitués ayant une existence légale permanente auxquels la Constitution ou les lois ont dévolu une portion de l’autorité ou de l’administration publique » (Crim. 26 avr. 1952, Bull. crim. n° 206 ; v. Rép. pén.,  Presse : procédure, par P. Guerder, nos 124 s.). La notion de « corps constitué » peut englober certains corps de niveau territorial mais à la condition qu’ils aient effectivement une existence reconnue par les textes (v. Rép. pén., v° Diffamation, par S. Détraz, n° 217).

 

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