En l'absence d'autorisation le « sampling » constitue une atteinte aux droits du producteur d'un phonogramme
La CJUE, dans une décision de grande chambre du 29 juillet 2019, a jugé que l'échantillonnage (en anglais « sampling ») peut constituer une atteinte aux droits du producteur d'un phonogramme lorsqu'il est réalisé sans son autorisation. Toutefois, l'utilisation sous une forme modifiée et non reconnaissable à l'écoute d'un échantillon sonore prélevé d'un phonogramme ne constitue pas une atteinte à ces droits, même en l'absence d'une telle autorisation.
En 1997, la chanson « Nur Mir » produite par Moses Pelham reprend en boucle une séquence rythmique de deux secondes de la chanson « Metall auf Metall » du groupe Kraftwerk, avec des modifications minimales et de manière reconnaissable. Estimant que les droits voisins dont ils sont titulaires ont été violés, les producteurs de la chanson « Metall auf Metall » ont demandé la cessation de l'infraction, l'octroi de dommages-intérêts et la remise des phonogrammes aux fins de destruction.
La Cour fédérale de justice allemande, saisie du litige, a posé plusieurs questions préjudicielles à la CJUE. Elle demande notamment à la Cour de justice si l'inclusion non autorisée, dans un phonogramme, par le biais du sampling, d'un échantillon sonore prélevé d'un autre phonogramme constitue, au regard du droit de l'Union en matière de droit d'auteur et de droits voisins (PE et Cons. UE, dir. 2001/29/CE, 22 mai 2001 ; PE et Cons. UE, dir. 2006/115/CE, 12 déc. 2006) ainsi qu'au regard des droits fondamentaux garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, une atteinte aux droits du producteur du phonogramme dont l'échantillon en cause a ainsi été prélevé.
La juridiction allemande s'interroge également sur les exceptions et limitations aux droits des titulaires, prévues par le droit de l'Union. À ce titre, elle souhaite savoir si la législation allemande permettant qu'une œuvre indépendante, créée en utilisant librement une œuvre protégée, puisse, en principe, être publiée et exploitée sans l'autorisation des titulaires de droits, est compatible avec le droit de l'Union. En outre, elle cherche à savoir si le sampling est susceptible de relever de l'« exception de citation », qui dispense l'utilisateur de la nécessité d'obtenir l'autorisation du producteur de phonogrammes pour l'utilisation du phonogramme protégé en cause.
Dans son arrêt, la CJUE suit les conclusions de l'avocat général.
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La Cour rappelle que les producteurs de phonogrammes ont le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la reproduction en tout ou en partie de leurs phonogrammes. Par conséquent, la reproduction par un utilisateur d'un échantillon sonore, même très bref, prélevé d'un phonogramme constitue une reproduction en partie de ce phonogramme, de sorte qu'une telle reproduction relève du droit exclusif conféré au producteur du phonogramme. Il ne s'agit pas d'une « reproduction » lorsqu'un utilisateur, en exerçant sa liberté des arts, prélève un échantillon sonore sur un phonogramme afin de l'intégrer, sous une forme modifiée et non reconnaissable à l'écoute, dans un autre phonogramme.
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La Cour relève que la directive 2006/115/CE ne définit pas la notion de « copie ». Cette notion doit dès lors être interprétée en tenant compte du contexte de la disposition concernée et de l'objectif poursuivi par la réglementation en cause. Pour cette directive, il s'agit d'offrir au producteur la possibilité d'amortir les investissements consentis par celui-ci pour la production de phonogrammes. La Cour reprend les propos de l'Avocat général qui précisait que « seul un support qui reprend la totalité ou une partie substantielle des sons fixés dans un phonogramme, de par ses caractéristiques, a vocation à se substituer aux exemplaires licites de celui-ci et, partant, est susceptible de constituer une copie de ce phonogramme ». Elle précise que ne constitue pas une telle copie un support qui, comme celui en cause en l'occurrence, se limite à incorporer des échantillons musicaux, le cas échéant, sous forme modifiée, transférés depuis ce phonogramme en vue de créer une œuvre nouvelle et indépendante de ce dernier.
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La juridiction allemande considère que sa législation nationale ne constitue pas une dérogation au droit d'auteur mais désigne plutôt une limitation inhérente du domaine de protection de celui-ci, fondée sur l'idée selon laquelle la création culturelle n'est pas envisageable sans un appui sur des prestations antérieures d'autres auteurs. De son côté, la Cour considère qu'un État membre ne peut prévoir, dans son droit national, une exception ou une limitation au droit du producteur de phonogrammes contenu dans la directive 2001/29/CE, autre que celles prévues à l'article 5 de cette directive.
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La Cour reprend à nouveau les propos de l'Avocat général. « La citation a pour caractéristiques essentielles l'utilisation, par un utilisateur qui n'en est pas l'auteur, d'une œuvre ou, plus généralement, d'un extrait d'une œuvre aux fins d'illustrer un propos, de défendre une opinion ou encore de permettre une confrontation intellectuelle entre cette œuvre et les propos dudit utilisateur, l'utilisateur d'une œuvre protégée qui entend se prévaloir de l'exception de citation devant dès lors avoir pour objectif d'interagir avec ladite œuvre ». Elle constate que l'utilisation d'un échantillon sonore prélevé d'un phonogramme et permettant d'identifier l'œuvre dont cet échantillon a été extrait peut, sous certaines conditions, constituer une citation, pour autant, notamment, qu'une telle utilisation a pour objectif d'interagir avec l'œuvre en question. En revanche, ne constitue pas une telle citation l'utilisation de cet échantillon lorsqu'il n'est pas possible d'identifier l'œuvre en cause.
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