Anaïs de la Pallière a publié en avril dernier La Face cachée de la robe aux éditions Michalon. Elle y décrit ses débuts difficiles dans la profession d’avocat à travers un portrait au vitriol du statut de collaborateur.
La rédaction : Depuis la sortie de votre livre, quelles ont été les réactions chez les avocats ?
Anaïs de la Pallière : Il a fait un peu de bruit. Deux membres du conseil de l’ordre m’ont directement attaquée par écrit, sur ma page Facebook, peu de temps après mon interview auprès de Sud Radio (début avril). J’ai reçu plusieurs messages, pas toujours agréables, m’indiquant que je « crachais » sur les confrères. Me dire cela, c’est déjà faire l’aveu de ne pas avoir lu le livre car je n’invective personne ad hominem. Donc, d’après ce que j’ai cru comprendre, tous ne seraient pas d’accord sur les faits relatés dans le livre. Par ailleurs, j’ai reçu également beaucoup de messages de soutien de confères qui avaient vécu des situations très similaires et m’ont félicitée pour avoir osé le dire. Je n’ai eu aucun retour du bâtonnier.
La rédaction : Vous expliquez que la profession est en berne sur pas mal de choses. Salaires, conditions de travail, précarité… pourquoi continuer à faire ce métier ?
Anaïs de la Pallière : Parce que c’est une vocation ! On exerce cette profession car, au départ, être avocat, c’est avoir envie d’aider les autres. Mais les conditions d’exercice peuvent rendre ce métier invivable.
La rédaction : Et pour vous, cela touche l’ensemble des avocats qui débutent ?
Anaïs de la Pallière : Ils y sont exposés en tout cas au début de leur exercice. Vous savez, il suffit de regarder les chiffres. Près d’un tiers des avocats se reconvertissent avant dix ans. C’est le signe d’une souffrance réelle au travail. Pourtant, il ne faut pas aller chercher bien loin pour en cerner les causes : le statut de collaborateur est en soi un bon guide.
Le modèle de la collaboration libérale n’est pas adapté au jeune avocat. Le nombre d’avocats a doublé en vingt ans et la moitié est à Paris. On n’est plus du tout sur le modèle du patronage, en quelque sorte : « Je te transmets mon savoir pour que tu t’installes plus tard ». Il faut en repenser l’utilité et les fonctions.
La rédaction : En quoi ?
Anaïs de la Pallière : La concurrence qui existe déjà en tant que tel entre avocats s’exerce encore plus fort sur les jeunes collaborateurs. Je n’apprends rien en disant qu’en commençant à exercer, le jeune collaborateur n’est pas soumis au code du travail. Pas de salaire, pas de chômage, pas d’horaires. Cela autorise parfois les avocats qui emploient à toutes les libertés. Et ce phénomène n’est pas vraiment lié à Paris, mais c’est vrai qu’on est en surnombre et que développer sa clientèle personnelle à Paris, lorsqu’on est collaborateur, relève de la gageure. Pourtant, on devrait pouvoir utiliser toutes les ressources du cabinet. Cela va du matériel aux locaux, en passant au besoin par le secrétariat.
Or ce n’est pas si facile que ça de le faire librement. Je me souviens que moi, dans ma toute première collaboration, j’avais pris un rendez-vous « client personnel » et l’associé est rentré volontairement dans la salle de réunion pour savoir ce qui se passait. Sans parler de l’impression que cela renvoie auprès du client, le message est clair : vous n’êtes pas libre de faire ce que vous voulez. Et cet exemple est loin d’être isolé. Beaucoup de copains de promotion ont vécu de près ou de loin ce genre de mésaventure. J’en parle dans mon livre. Parfois, l’employeur vous dit aussi : « Vous allez rester plus tard pour compenser… ». Tout cela est inadmissible.
Même chose du côté de la rémunération : la moyenne à Paris quand on débute, c’est en gros 1 900 € net. C’est encore moins ailleurs. Ce montant est valable, après plus de sept ans d’étude, s’il y a les contreparties légales à la collaboration. Mais comme ce n’est pas le cas, c’est largement dissuasif. Les jeunes avocats acceptent car il y a trop d’avocats en France. Si je refuse une collaboration à cause de la rétrocession, je sais qu’il y a dix avocats qui se présenteront. On cède car on a peur de ne jamais trouver un boulot. Et beaucoup hésitent à alerter l’ordre de peur d’être grillé dans la profession.
La rédaction : Vos conditions de travail ont-elles changé ?
Anaïs de la Pallière : Oui, mais j’ai persévéré. J’ai fait trois cabinets depuis 2016 pour trouver des conditions de travail normales.
La rédaction : Donc c’est possible…
Anaïs de la Pallière : Oui, mais il faut en vouloir. Beaucoup de mes amis ont quitté le métier.
La rédaction : Les États généraux sur l’avenir de la profession d’avocat ont lieu en ce moment. Avec, en vue, une modification du RIN. Ce serait peut-être le moment d’adresser un message aux instances représentatives. Que préconisez-vous ?
Anaïs de la Pallière : Il n’y a rien de neuf dans ce que je dis. Il suffirait de reprendre le rapport de Kami Haeri en 2017, pourtant ! Tout est dedans ! Il y préconise déjà des garde-fous. Il ne s’agit pas d’imposer le salariat par principe car la liberté est consubstantielle de l’exercice du métier. Du moins, quand la liberté peut s’exercer ! Par exemple, il faudrait imposer des horaires. Je pense que c’est un des nœuds du problème, ici. Quand on nous fixe des horaires extensibles au possible…
La rédaction : Dans le livre, vous prenez l’exemple de votre amie que son ancien patron avait l’habitude d’informer à 22 heures qu’elle devait le remplacer à une audience du lendemain matin. Ou de traiter des dossiers en urgence juste avant de partir. C’est ce genre d’abus qu’il faut encadrer ?
Anaïs de la Pallière : Oui. Et ne parlons même pas de tomber enceinte. Il faudrait envoyer un signal fort qui viendrait informer les employeurs que ce genre de comportement sera condamné… À partir du moment où on demande aux collaborateurs de rester après 19 heures, par exemple, il faudrait prévoir une majoration de la rétrocession. Le statut de collaborateur ne doit pas être la porte ouverte pour venir travailler à n’importe quel moment, et encore moins au gré des itérations du cabinet. La philosophie du contrat de collaboration libérale resterait pourtant la même. Ce ne serait pas une révolution pour autant.
La rédaction : Ça sent le programme électoral ça… Vous prévoyez de vous présenter aux prochaines élections ?
Anaïs de la Pallière : Ce n’est pas dans mes projets. Je préfère écrire.
La rédaction : Par ailleurs, vous dézinguez aussi l’École de formation du barreau (EFB)…
Anaïs de la Pallière : L’École est une mauvaise blague. Elle s’est positionnée sur le modèle d’une grande école alors qu’elle n’en est pas une. Pour moi, les cours ont duré quatre mois, ils sont dans leur majorité inutiles, la qualité des enseignements est médiocre et personne n’y va sans y être obligé. La seule utilité c’est le foisonnement, car on est mis en situation.
La rédaction : Vous parlez de son coût aussi…
Anaïs de la Pallière : La formation est onéreuse. Quand on arrive à l’École, on doit payer 1 600 € pour quatre mois de cours. Le reste de la scolarité étant consacré aux stages. Cela m’a laissé un goût amer, surtout qu’on n’a aucun détail sur la destination de ces sommes.
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